Vahid Hakani : "Voici ma déclaration complète en tant que témoin de la persécution des chrétiens en Iran"
"Au fur et à mesure que le nombre de nos membres et de nos églises-maison augmentait, nous savions que nous risquions un jour d'être arrêtés par le ministère du Renseignement."
Vahid Hakani est né en Iran en 1982, dans une famille musulmane. Pour Article 18, organisation dédiée à la protection et à la promotion de la liberté religieuse en Iran, il témoigne de la persécution des chrétiens en Iran.
Si enfant, il grandit dans la fidélité des préceptes islamiques, la mort de sa mère, alors qu'il avait 13 ans, et l'absence de son père le plongent dans des conditions de vie difficiles et épuisantes.
"J'étais très seul et je considérais que Dieu était la cause de ma situation malheureuse", explique-t-il avant d'ajouter, "au fil du temps, j'ai senti qu'aucune de mes pratiques religieuses n'était bénéfique pour moi, et peu à peu je me suis découragé avec Dieu. Je suis devenu têtu envers Dieu et j'ai délibérément fait de mauvaises choses pour me venger de lui".
À l'âge de 24 ans, il rencontre un membre de sa famille devenu chrétien. Celui-ci lui fait rencontrer des amis chrétiens.
"Cette personne n'était pas chrétienne depuis très longtemps, mais il m'a quand même transmis tout ce qu'il avait appris, et j'ai soudain eu l'impression de connaître Jésus-Christ depuis des années. Ce que j'ai entendu de mon parent et de son ami à propos de Jésus m'a décidé à le suivre. À ce moment, la lumière de l'espoir a brillé dans mon cœur et j'ai ressenti une paix étrange qui est restée dans mon cœur jusqu'à aujourd'hui."
Vahid commence à lire la Bible qu'un ami lui a prêtée, et à suivre les enseignements chrétiens. Il apprend des versets par cœur et finit par obtenir sa propre Bible auprès de marchands ambulants, alors que la vente de Bibles est interdite en Iran.
Quand il a parlé de sa foi auprès de sa famille, elle l'a rejeté. Un de ses anciens amis le considérait désormais comme infidèle et impur.
Vahid a changé son nom de famille et a voulu s'identifier chrétien, ce que les fonctionnaires de l'état civil ont refusé. Il rencontre des chrétiens dans des églises de maison.
"Au fur et à mesure que le nombre de nos membres et de nos églises-maison augmentait, nous savions que nous risquions un jour d'être arrêtés par le ministère du Renseignement. Parfois, nous avions l'impression d'être suivis ou que nos téléphones étaient mis sur écoute, et plus tard, nous avons découvert que nos soupçons étaient fondés."
En 2008, puis en 2012, il finit par être arrêté par le ministère du Renseignement.
"Puis, le mercredi 8 février 2012, environ 25 membres de notre église-maison étaient réunis chez l'un des autres membres. Nous étions en train de prier quand la sonnette a sonné. Nous avons supposé qu'un autre membre de l'église était arrivé en retard, alors nous avons ouvert la porte sans demander qui c'était. Mais alors au moins 15 agents du ministère du Renseignement sont immédiatement entrés dans la maison."
Vahid a été arrêté aux cotés de Mojtaba Hosseini, Koroush Partovi, Homayoun Shekoohi, sa femme Fariba et son fils Nima.
"Les agents ont forcé le reste des participants à remplir des formulaires avec leurs données personnelles. Plus tard, ils ont été appelés et convoqués pour interrogatoire. Ils ont été menacés lors de ces interrogatoires et contraints de s'engager à ne plus participer à aucune autre réunion de l'église ou à ne plus avoir de contact les uns avec les autres."
Vahid a été amené chez lui menotté. Sa maison a été fouillée et des objets en lien avec sa foi chrétienne ont été confisqués. Puis il a été conduit au centre de détention du ministère du Renseignement.
"J'ai eu une sensation étrange quand ils m'ont bandé les yeux; Je ne savais pas où ils m'emmenaient, ni qui me tenait la main", explique-t-il, "tout était noir et sombre. C'était la première fois que je devais aller quelque part avec un bandeau sur les yeux, et ce fut l'une des parties les plus difficiles de ma détention initiale, et cela m'a causé beaucoup de pensées négatives".
Accusé de "formation d'organisations illégales", "atteinte à la sécurité nationale", "propagande contre le régime" et "apostasie", il est resté 33 jours en détention dans une cellule de 6 mètres carrés avec trois codétenus.
Dès sa première nuit en détention, Vahid subit des interrogatoires.
"J'ai refusé de répondre. Au lieu de cela, je lui ai demandé plusieurs fois ce qui était arrivé à l'une des adolescentes de notre groupe, la fille de Homayoun, Helma, que j'aimais comme ma sœur cadette. Je pense qu'elle avait 12 ans à l'époque. Comme le père, la mère et le frère d'Helma faisaient également partie des personnes arrêtées, je m'inquiétais pour elle."
"Tous les trois ou quatre jours, j'étais autorisé à sortir environ 20 minutes pour prendre l'air, et je priais pour voir mes amis ou entendre leurs voix, afin de savoir qu'ils allaient bien", expliqué Vahid, "Je n'ai pas prié pour moi-même ; ma seule préoccupation était la condition de mes amis chrétiens (...) Plus tard, quand je les ai revus, j'ai réalisé qu'ils s'étaient également inquiétés de mon état et avaient prié pour moi".
Puis Vahid commence à culpabiliser. "Le nombre de membres de notre église était passé de quatre à 200, et j'ai commencé à me dire que je n'aurais peut-être pas dû insister pour que nous nous rencontrions." Après 12 jours sans interrogatoire, le chrétien est à nouveau emmené pour être interrogé.
"Les interrogateurs ont utilisé différentes tactiques pour essayer de détruire mon estime de moi", explique-t-il, "mes interrogatoires étaient longs et fatigants, des heures pleines de stress et d'anxiété".
Dans sa cellule, quelques livres étaient à sa disposition. Parmi eux, la Divine Comédie de Dante.
"J'étais très heureux d'avoir l'occasion de lire ce livre, qui est plein de versets bibliques" se réjouit-il, "le traducteur du livre, M. Shojauddin Shafa, avait inclus toutes les sources, ce qui m'a permis de lire des versets de la Bible".
Lors de sa 33ème nuit de détention, Vahid est conduit à un nouvel interrogatoire. On lui demande d'écrire un texte, de le signer et d'y apposer son empreinte digitale.
"Dans ce texte, il était écrit : 'Moi, Vahid Hakani, je suis membre d'une secte chrétienne déviante. Je me repens et promets de ne plus visiter ce groupe. Je ne communiquerai avec aucun des chrétiens et je ne formerai pas d'église'. J'ai dit : 'Je n'accepte pas du tout ça ! Nous n'étions pas une secte déviante ! Nous sommes chrétiens' !"
L'interrogateur lui laisse alors écrire ce qu'il souhaite.
"Je suis Vahid Hakani, un chrétien, et je ne savais pas jusqu'à aujourd'hui que se rassembler, adorer et prier au nom du Christ n'est pas légal dans ce pays. Je promets de ne plus faire ça à partir de maintenant."
"Plus tard", poursuit Vahid dans son témoignage, "lorsque je suis entré dans le quartier général de la prison, je n'ai pas pu dormir pendant plusieurs nuits. Une nuit, j'ai réalisé que j'avais un grand ressentiment dans mon cœur envers les interrogateurs, alors j'ai décidé de ne pas porter ce ressentiment avec moi, et à la place de leur pardonner et de prier pour eux. Maintenant, chaque fois que je pense à ces jours en prison, je prie et j'intercède pour tous mes interrogateurs".
Le 34ème jour, il est conduit au centre de détention central à la prison d'Adel Abad. Il est accompagné de ses amis qu'il revoit pour la première fois depuis son arrestation. Ensemble ils se racontent les derniers jours et prient. Mais le directeur du centre finit par les séparer. Un nouveau directeur finit par le recevoir.
Vahid lui expose sa foi chrétienne, ce qui le met dans une grande colère.
"M'évangélisez-vous ? Faites-vous de la publicité en ce moment ? À partir d'aujourd'hui, j'enverrai trois personnes pour vous surveiller et me faire savoir chaque fois que vous parlerez de christianisme à quelqu'un ! Alors je sais ce que je vais te faire !"
Vahid va rester en détention pendant trois ans. Il a finalement été libéré sous caution le 29 juillet 2013 pour bénéficier d'une opération. Il vit très mal le fait d'être à l'extérieur pendant que ses amis chrétiens sont toujours en prison. Il y retournera à l'issue de ses soins en décembre 2013.
Vahid raconte également les audiences au tribunal.
"Lorsque nous étions assis dans la salle d'attente du tribunal, à côté du bureau du juge, nous priions ensemble et chantions des chants d'adoration. Notre intention n'était pas de provoquer les responsables gouvernementaux ; nous l'avons fait pour notre confort et notre force, ainsi que pour les membres de la famille qui étaient venus à la cour."
Vahid a finalement été condamné à trois ans et huit mois de prison pour avoir "agi contre la sécurité du régime par la formation de groupes de propagande et de réunions dans le but de promotion et propagande" et "propagande contre le régime".
En prison, il entame une grève de la faim suite au refus de libération conditionnelle de ses amis.
"J'étais prêt à entreprendre cette action pour obtenir la libération conditionnelle de mes amis, et au 50e jour de ma grève de la faim, Koroush a été libéré", explique-t-il.
"Je n'étais pas en bonne condition physique ou mentale. Je me suis senti très déçu et déprimé ; Je pensais que personne ne s'en soucierait même si je mourais. Mais j'ai appris plus tard qu'Article18 avait parlé à de nombreuses églises de notre situation, et en plus de prier pour nous à l'église, ces chrétiens nous avaient régulièrement envoyé des cartes postales. C'était presque le 50ème jour de ma grève de la faim quand j'ai reçu une des cartes postales qui m'ont été envoyées d'Amérique. Et le frère américain qui l'avait écrit avait traduit la signification de mon nom, 'Vahid'", qui signifie 'solitaire', et il avait écrit en anglais : 'Vahid, tu es seul, mais pas seul ; J'ai prié pour vous aujourd'hui afin que notre Père céleste vous réconforte, vous donne la paix et vous guérisse. J'ai été très encouragé et heureux de lire cette carte postale."
Vahid va mettre fin à sa grève au bout de 60 jours, avant d'en commencer une deuxième en apprenant que la libération conditionnelle de Homayoun et Mojtaba n'avait finalement pas eu lieu. Elle a duré 25 jours.
À l’issue de ces deux grèves de la faim, Vahid a perdu 35 kilos. Il souffre encore aujourd'hui encore des conséquences de ces grèves.
"Mais je ne regrette pas de l'avoir fait, car je voulais vraiment faire quelque chose pour aider à garantir la liberté de mes amis", affirme-t-il. Vahid finit par demander à son tour une libération conditionnelle. Elle a été approuvée et il a été libéré de prison le 26 janvier 2015.
À sa sortie, il a perdu sa maison, son commerce. Il a des problèmes financiers. Il se rend en Turquie où il devient réfugié. Après des mois de dépression et d'envies suicidaires, son état s'améliore. Il s'investit désormais dans une association d'aide aux victimes et réfugiés.
M.C.